Impédance du réveil

 
  




L’expérience du réveil dans la cloche à vide qui se fait muet une fois le vide établi sert souvent à démontrer la nécessité d’un milieu matériel pour porter les ondes sonores. Mais l’explication de son inaudibilité n’est pas là... En effet, le vide des cloches à vide qu’on trouve dans les établissements scolaires est loin d’être vide. Au maximum, on arrive péniblement à un dixième de bar sous la cloche. Le milieu matériel est donc bien toujours là et continue à porter les ondes sonores du réveil !





Petite aparté introductive :
recette pour obtenir la propagation d’ondes planes dans un milieu :

Une onde est la propagation d’une oscillation. Et pour propager une oscillation, il faut un milieu fait d’oscillateurs reliés, susceptibles donc d’osciller et de transmettre au voisin. L’énergie passe d’une forme à une autre : de potentielle à cinétique. Et c’est le gradient spatial du potentiel qui permet l’accélération et donc le remplissage du puits cinétique.

Ensuite, il faut que le milieu puisse être considéré comme continu par rapport à l’onde. C’est-à-dire qu’il faut un maillage ou un pas de réseau très inférieur à la longueur d’onde (prosaïquement, on n’a pas d’onde si on ne peut pas dessiner une vague...). Cette continuité du milieu associée à la conservation de la matière donne mathématiquement un lien entre la divergence des vitesses et la variation temporelle local de densité (si les oscillateurs s’écartent les uns des autres, la densité diminue...).

Résumons, on a :

  1. 1) une variation spatiale du potentiel donnant une variation temporelle de la vitesse

  2. 2) une variation spatiale de la vitesse donnant une variation temporelle de la densité


Il suffit d’un potentiel lié à la densité pour obtenir propagation car on boucle alors la boucle. Or c’est très souvent le cas (c’est plutôt un potentiel non dépendant du rapprochement ou de l’éloignement des oscillateurs reliés qui parait dur à imaginer...).

Et s’il y a proportionnalité entre la grandeur attachée au potentiel (comme v est attachée à l’énergie cinétique) et la densité, on récupère même un joli D’alembertien (❏=∂2/c2∂t2-∆) synonyme d’ondes planes progressives. Pour ce dernier point, il faut en plus se restreindre à des «petites énergies» (= on reste au fond du puits) pour que le puits d’énergie potentiel puisse être approximé comme parabolique (et donc quadratique en la variable potentielle attachée).





Pas de vide dans une cloche à vide (de lycée)


La théorie des ondes sonores reste valable tant que le milieu fluide dans lequel elles se propagent peut être considéré comme continu à l’échelle des ondes puisqu’on utilise la mécanique des fluides pour établir les équations. Pour s’en assurer, il suffit de comparer la longueur d’onde au libre parcours moyen des particules du fluide. Si elle est bien supérieure, l’onde voit un milieu continu.

Le libre parcours moyen des particules s’écrit 1/nσ. Ici, à pression faible, on peut utiliser l’approximation du gaz parfait, donc n vaut environ P/kBT = 1025  m-3 pour P = 0,1 bar. Et comme la section efficace σ vaut environ 10-19 m2 (on prend le diamètre des molécules puisque gaz parfait = pas d’interaction), cela donne un libre parcours moyen de l’orde de 1 μm.

Le milieu pourra être considéré comme continu tant que la longueur d’onde des ondes sonore sera très supérieure à ce libre parcours moyen. Or comme on est sensé entendre le réveil, la fréquence des ondes produites est nécessairement inférieure à 20000 Hz. De plus, la vitesse des ondes sonores n’est pas modifiée par la baisse de pression (c2=1/ρχ) puisque la diminution de masse volumique est parfaitement compensée par l’augmentation de la compressibilité donc c ≈ 300 m/s et λ est supérieure au mm. On est tranquille et c’est donc ailleurs qu’il faut chercher...



En fait, deux raisons superposées sont à invoquer : d’une part, le son produit est moins puissant et d’autre part, sa transmission à travers la cloche est bien plus faible...



2ème aparté :
établissement (un peu grossier) des équations d’ondes pour les ondes sonores :

v la vitesse d’une particule de fluide, P0 la pression au repos, p la surpression, ρ0 la masse volumique du fluide au repos et μ la variation de masse volumique :

Equation du mouvement d’un fluide parfait (Euler) :


(la pesanteur est compensée par le gradient de pression statique au repos P0)

Continuité du fluide :


d’où au premier ordre :



Lien entre μ et p :

Une onde sonore ne s’amortit que faiblement, cela permet de considérer l’écoulement comme isentropique (pas de frottements, pas de chaleur). Et en utilisant le coefficient de compressibilité adiabatique, on ne s’embête plus avec le bilan énergétique et l’équation d’état (les 2 équations scalaires qui nous restent) : on a direct un lien entre p et μ en squizzant T grâce à cette hypothèse !

En effet, le coefficient de compressibilité adiabatique s’écrit :

χs = 1/ρ(∂ρ/∂P) ,

Comme μ et p sont petits, on peut écrire en bonne approximation au premier ordre :

μ = ρ0 χs p
En remplaçant, on obtient les deux équations couplées :


Ce qui permet de récupérer un D’alembertien pour p et v, avec comme célérité :
c2 = 1/ρ0 χs

D’autre part, dans le cas d’ondes planes :


Et on a donc proportionnalité entre p et v :

p = ρ0ω/k v = ρ0c v (= 1/χsc)

On appelle impédance Z le facteur de proportionnalité.



Moins d’air dans la cloche = moins de puissance sonore


Rappelons que la puissance d’une onde sonore vaut pSv (produit entre la force causant le déplacement (la «tension»), ici pS, par la vitesse v du point d’application de cette force). Si on s’intéresse à une puissance moyenne (prise sur une période), on écrit ça <pSv>.

Dans le cas d’ondes planes (approximation pas si violente que ça), on sait que surpression et vitesse sont reliées par l’impédance (p = ρc v).

On obtient finalement pour la puissance : ρcS<v2>

Or on ne touche qu’à la masse volumique en faisant le vide ! En effet, on peut se convaincre que le mouvement de la cloche du réveil ne sera pas trop modifié par la diminution de viscosité de l’air et par continuité des déplacements, il en est de même pour la vitesse v du fluide, et comme on a aussi vu que la célérité c restait inchangée...


La masse volumique étant proportionnelle à la pression, on s’attend donc à un rapport 10 entre puissance avant et après le vide, soit une chute de 10 dB de l’intensité sonore !



Problème d’impédance


Pour le second point (pb de transmission), la grandeur pertinente à considérer est l’impédance de l’onde. L’impédance Z, entraperçue plus haut, est le rapport entre la grandeur excitatrice et la grandeur «réponse» dans les équations couplées qui font naître l’onde. Constante de couplage, elle caractérise ainsi la résistance du milieu à la propagation. On peut la voir comme l’inertie du milieu pour l’onde...


Petite image pour comprendre l’influence de Z :

Soit un milieu de petites billes. Pour un Z donné, une bille en mouvement tape une bille immobile de même masse et lui transmet toute son énergie cinétique, et elle-même la transmet à une troisième bille, etc. On a propagation du déplacement dans ce milieu fait de billes.

Supposons que l’on arrive sur une frontière derrière laquelle Z augmente ; cela revient à augmenter la masse des billes derrière l’interface. Si une bille légère tape une bille plus lourde, la conservation concomitante de l’impulsion et de l’énergie cinétique rend impossible la transmission intégrale de l’énergie cinétique à la grosse bille. Dans ce cas, il y a rebond : une partie de l’énergie est utilisée au retour en arrière de la bille légère. Et c’est repartit pour une série de choc dans l’autre sens à moindre vitesse tandis que chez les grosses billes, la première grosse refile la portion d’énergie qui lui a été transmise à ses grosses voisines. Il y a eu rebond d’une partie de l’onde et transmission du reste !

A l’inverse, si Z est plus faible de l’autre côté (billes plus légères), une partie de l’énergie cinétique se trouve là encore non transmise, mais ce coup ci, il n’y a pas changement de direction, la bille plus lourde continue sa route après avoir heurté la première bille légère.

C’est là que notre modélisation se retrouve pris en défaut car trop simple : pour avoir une onde, il faut que nos billes soient reliées entre elles. Attachons-les donc par une ficelle de longueur supérieure au libre parcours moyen (pour simplifier) ; jusqu’ici, nos ficelles étaient donc toujours lâches puisqu’entre deux chocs, les billes n’avaient jamais le temps de s’écarter assez. Mais maintenant, notre bille qui se carapate lentement derrière la frontière va finir par tirer sur la ficelle et ainsi transmettre son énergie de mouvement à la précédente qui va elle-même tendre sa ficelle, et ainsi de suite. On a bien encore un retour de «l’onde» = une propagation en sens inverse.

Bien sûr, on n’a pas vraiment d’onde dans ce petit exemple. Le milieu en entier a bougé (d’un libre parcours moyen) ! Il n’y a pas eu propagation d’une oscillation (puisqu’il n’y a pas oscillateur) mais d’un déplacement. Mais si on remplace les ficelles par des ressorts, les conclusions précédentes restent valables et notre milieu devient acceptable...

Conclusion : quand l’impédance augmente à une interface, la variable cinétique rebondit et quand Z diminue, c’est la variable potentielle (élongation de la ficelle devenue ressort) qui rebondit alors que la variable associée voit sa partie réfléchie non déphasée par rapport à sa partie incidente (puisque rebondir = déphasage de π et la grandeur associée est elle aussi déphasée de π, ce qui fait 2π).


Aparté d’aparté : c’est ainsi qu’en électrocinétique, on trouve une intensité (grandeur cinétique) nulle à l’extrémité ouverte d’un circuit (Z = ∞) alors que la tension (grandeur potentielle) est max et inversement pour un court-circuit (Z = 0).

(attention tentative hasardeuse...) De même pour la réflexion lumineuse : quand l’indice optique et donc Z augmente, le champ E (grandeur cinétique) réfléchi et donc l’intensité lumineuse est déphasée de π, ce qui n’est pas le cas quand Z diminue...


On l’a vu, pour les ondes sonores, c’est la surpression locale qui provoque le déplacement du fluide ; la partie potentielle de l’oscillateur est donc jouées par la surpression. Et la vitesse est la grandeur réponse. Tant que la surpression et faible par rapport à la pression du fluide au repos (c’est le cas pour nous), on est linéarisable. Surpression et vitesse sont alors proportionnelles et le facteur de proportionnalité (l’impédance Z) vaut ρ0c.


En oubliant pour le moment la paroi en verre, on a deux milieux, intérieur et extérieur de la cloche, où l’impédance varie puisque ρ est modifiée. À l’interface, le transfert d’énergie de la partie potentielle à la partie cinétique subit donc une discontinuité. Et comme on l’a vu plus haut, cela provoque un rebond d’une partie de l’onde.


Des petits calculs de continuité à l’interface permettent de conclure que la transmission du flux d’énergie (puissance par unité de surface) à travers l’interface où il y a discontinuité de Z à l’échelle de l’onde vaut :

T = 4Z1Z2/(Z1+Z2)2


Dans notre cas, Z2 vaut 10×Z1 et donc T vaut environ 1/3 soit encore 5 dB en moins ! On a donc perdu au final 15 dB à cause de la variation de pression...



Ces 15 dB ne semblent pas énormes mais comme on va le voir, la paroi en verre atténue déjà pas mal le son avant même qu’on pompe l’air. Et au final, l’atténuation rend le réveil quasi inaudible.

   


Et la paroi ?


Réinstallons la paroi mais déraréfions l’air. Il suffira à la fin d’ajouter les différentes pertes (en dB) puisque la magie des logarithmes permet de transformer des produits en additions.


Simplifions d’abord un peu : on va négliger les interférences à l’intérieur de la paroi puisque sa grande finesse comparée aux longueurs d’onde du son (de l’ordre du m) induit que les ondes y naissant sont en bonne approximation non déphasées.


Passons rapidement aussi sur l’absorption des ondes sonores par le verre : le coefficient «alpha sabine» du verre (puissance absorbée sur puissance totale) vaut environ 0,20 pour un vitrage courant et pour une fréquence d’environ 400 Hz. La perte d‘approximativement 1 dB peut bien être négligée.


Considérons donc maintenant le véritable effet d’atténuation : on s’attend à ce que la paroi joue le rôle d’un filtre passe-bas, étouffant les hautes fréquences. Cause : inertie de la paroi rendant la mise en mouvement de plus en plus difficile au fur et à mesure que la fréquence augmente.


On oublie maintenant que l’air est raréfié dans la cloche (on s’en est déjà occupé plus haut) et on prend donc une masse volumique ρ0 pour l’air dedans et dehors.

Pour une section S de paroi, le principe fondamental de la dynamique s’écrit :


En notant ρv la masse volumique du verre.

Or par continuité des déplacements de part et d’autre de l’interface:

v = vi + vr = vt

Et d’après la relation entre surpression et vitesse du fluide :

pi = ρ0cvi

pr = -ρ0cvr

pt = ρ0cvt

En notation complexe (en se restreignant à des ondes planes progressives), on a donc le système suivant :



En éliminant vr, on obtient la relation de passage entre l’amplitude de l’onde incidente et celle de l’onde transmise :


On a bien un filtre passe-bas de pulsation de coupure ω0 à 3 dB :


Ce qui donne une fréquence de l’ordre de 10 Hz pour un verre épais de 3 mm.


Prenons une fréquence de 440 Hz (diapason) et regardons l’atténuation en puissance :



Cela donne à nouveau une quinzaine de dB d’atténuation... 


Au total, on a perdu 30 dB avec notre petite expérience; atténuation équivalente à celle obtenue avec un casque anti-bruit ! Le «vide» n’est responsable que des 15 derniers dB mais ce sont eux qui finissent de tuer le son dans un bel élan pédagogique.