JUMEAUX DE LANGEVIN

 
Paradoxe star de relativité (un jumeau quitte la Terre en fusée puis revient et trouve son frère plus vieux que lui), qui même s’il n’a jamais vraiment posé problème aux physiciens, n’en reste pas moins délicat à décrire et expliquer (pour moi cela s’entend).

L’origine du paradoxe est dans l’apparente symétrie des situations (du point de vue cinématique). On sait depuis 1905 que la vitesse dilate le temps. Plus précisément, un observateur immobile voit la montre d’une personne en mouvement battre le temps moins vite, jusqu’à s’arrêter si la personne atteint la vitesse de la lumière (mais ce graal suppose un régime draconien : plus un seul gramme).

D’accord, le temps du voyageur est dilaté quand regardé depuis la Terre. Mais du point de vue du voyageur, la situation est inversée, c’est le sédentaire qui bouge (il n’y a pas de référentiel absolu !), donc au final, il ne devrait pas y avoir de différence... Et pourtant c’est un fait (vérifié expérimentalement), le voyageur a moins vieilli !


La relativité générale tord facilement le cou à l’illusion de symétrie. En effet, le voyageur est accéléré au moment du demi-tour, or qui dit accélération dit champ de pesanteur équivalent et donc horloge interne réellement ralenti.

Mais le paradoxe est aussi explicable en relativité restreinte.


Plaçons nous donc dans le cadre de la relativité restreinte et tentons de pister l'asymétrie entre les deux jumeaux.

Pour fixer les idées et simplifier les calculs, supposons que le jumeau voyageur fonce à 3c/5 et fasse demi-tour au bout d’un an (un an mesuré par lui = un an de temps propre du voyageur).

Dans cette situation, on a un facteur de dilatation du temps (du référentiel en mouvement par rapport au référentiel fixe) valant :




Le point de vue du sédentaire :







Le sédentaire voit le temps passer plus lentement pour son jumeau en mouvement d’un facteur 4/5. C’est-à-dire qu’une seconde pour le sédentaire dure 5/4 de seconde pour le voyageur. Le temps est dilaté par le mouvement qui transforme une partie du temps en distance (et à la limite, le photon transforme l’intégralité du temps en distance).

Le sédentaire voit tout le voyage de son jumeau dilaté temporellement et lors des retrouvailles, il se sera donc fatalement écoulé moins de temps pour le voyageur.

Plus précisément, le trajet aller prend un an au voyageur par hypothèse de départ (dans son référentiel), et il en est de même du trajet retour. Le voyage dure donc deux ans pour le jumeau itinérant. Chaque seconde du voyageur dure 5/4 de plus vue par le sédentaire. Conséquence : le voyage a duré 5/4×2 ans pour le sédentaire, soit deux ans et demi.


Mais que voit réellement le sédentaire ?

En prenant en compte le temps de trajet des photons entre la fusée et la Terre, le sédentaire voit son jumeau entamer son demi-tour au bout de deux ans seulement (il reçoit en C, le photon émis en B par la fusée), il a donc vu s’écouler un an de la vie de son frère au ralenti (deux fois moins vite). Puis il voit un trajet retour accéléré durer six mois jusqu’en D, cette fois-ci la vie de son jumeau semble passer deux fois plus vite. Cette dissymétrie entre l’aller et le retour vient bien évidemment de l’effet Doppler.

Mais finalement, on a bien cet écart de six mois dû à la dilatation des durées entre référentiel fixe et référentiel en mouvement.





Le point de vue du voyageur :







Là ça se complique...

D’abord, retour sur le paradoxe : dans le référentiel du voyageur, la Terre s’éloigne et se rapproche à une vitesse de 3c/5, les deux points de vue semblent donc symétriques et on devrait obtenir le même écart que précédemment (six mois de plus) mais pour le voyageur ce coup-ci !

Y a donc un soucis...

Pour lever le paradoxe, il faut trouver où se cache l’asymétrie entre les deux situations.

Une solution s’impose : le changement de référentiel d’inertie. En effet, le voyageur change de référentiel, pas le sédentaire !

Concentrons-nous donc sur le moment du demi-tour pour le voyageur (B sur le schéma). À cet instant, il voit la Terre en C. À l’instant suivant, la Terre, à la même distance, ne s’éloigne plus mais se rapproche ! Cela signifie que la Terre n’est plus en C mais en D ! Elle a donc fait un bon dans l’espace-temps : entre deux instants consécutifs pour la fusée se passe un long laps de temps sur Terre...

Détaillons ça. En B, la fusée reçoit le dernier photon d’une Terre s’éloignant. L’instant suivant, la Terre se rapproche de la fusée et donc ce photon émis par C semble aussi virtuellement avoir été émis depuis C’, par une Terre s’approchant de la fusée à une vitesse de 3c/5 (la branche où se situe C’ devant prolonger la branche retour...). Le problème étant d’associer ce qu’on voit (une Terre s’approchant) à des signaux ayant été émis précédemment par une Terre s’éloignant. On a perdu la synchronisation entre ce qu’on voit et les photons émis par ce qu’on voit. Dit autrement, la reconstitution de l’image à partir des signaux reçus ne coïncide plus avec l’origine réelle de l’image. C’est un mirage temporel. Et ce à partir du demi-tour, c’est-à-dire du changement de référentiel. C’est bien lui qui casse la synchronisation dans le sens où la Terre ne «sait» pas que la fusée se rapproche jusqu’à être en D alors que la fusée «sait», elle.

La Terre virtuelle se rapproche jusqu’en F en émettant des photons qui viennent pour la fusée d’une autre Terre virtuelle située entre D et F (mais elle semble très réelle pour le voyageur...). Donc entre D et F, la fusée ne voit pas la Terre vieillir de six mois comme à l’aller mais de deux années car la fusée a recueilli sur le chemin retour tous les signaux émis entre C et D, avant que la Terre ne soit resynchronisée avec la fusée. On a en réalité changé l’orientation des plans de simultanéité : ils suivent un photon (ligne jaune) jusqu’en C, alors qu’ils suivent la direction des lignes vertes à partir de D (le retournement de la vitesse a retourné le temps pour les photons reçus). Le changement de référentiel a tourné les plans de simultanéité pour les faire coïncider avec la nouvelle vitesse.


Ainsi, le jumeau voyageur réunit deux points de l’espace temps séparés temporellement. Changer un mouvement de sens fait croire que les photons émis avant le changement semble venir d’une région temporellement éloigné de l’espace-temps (par rapport à la position de l’émetteur réel), tout comme changer la direction de propagation d’un photon semble le faire venir d’une région spacialement éloignée de l’espace-temps. 


Reprenons le fil des évènements : entre A et B, le jumeau voyageur voit, pendant l’année de son voyage aller, son frère vieillir de six mois (la Terre arrive en C pour le voyageur). L’instant suivant, le voyageur voit la Terre se rapprocher (en D) et son frère commencer à vieillir en accéléré. Sur l’année du retour, il voit ainsi son frère vieillir de deux ans !

Il s’est bien à nouveau passé deux ans pour le voyageur et deux ans et demi pour le sédentaire.