L’expérience de Faroux

 

Ou comment bien angoisser des agrégatifs de physique quelques jours avant le concours...







Interrupteur fermé, on alimente le circuit. Puis on ouvre. Le moteur se met alors en route et remonte la masse.

Jusque-là, ça va : l’énergie stockée dans la bobine est restituée. Rien d’étrange (enfin si... fondamentalement, c’est étrange, mais on ne va pas s’en occuper).

C’est maintenant que la sorcellerie arrive : J-P Faroux ou un semblable distributeur d’humilité place un petit LU dans l’entrefer, entre le barreau magnétique et le U qui était jusque-là en contact (attention, le choix de l’objet magique est un révélateur de personnalité).

Que se passe-t-il si on refait la manip précédente ? La masse monte bien plus haut !

Suivent les fanfaronnades du démonstrateur, «c’est fou l’énergie que contiennent ces petits gâteaux», et la perplexité coupable, nerveuse et bientôt résignée de l’assistance.

«Pas de réponse, c’est à vous de chercher...».


Avec un peu d’obstination et beaucoup de feignantise, on finit par trouver la solution... sur internet (une fiche de Cachan sur les bobines). Je vais délayer un peu pour être sûr d’avoir compris.


Mais avant cela, un résumé pour les pressés (attention, spoil) :

L’énergie stockée dans la bobine (et donc restituée dans le circuit secondaire) varie comme l’intégrale de IdΦ (I, l’intensité et Φ, le flux de champ magnétique). Et cette intégrale peut, dans le cas où le ferro arrive à saturation, se trouver maximiser si l’entrefer est agrandi.


Place au délayage :


Oublions un temps le ferro...


On allume l’alimentation (disons qu’elle fournit une tension U). Le courant dans la bobine va donc augmenter jusqu’à atteindre une valeur max Imax=U/r, où r est la résistance interne de la bobine.

Mais le courant dans la bobine crée un champ magnétique dont la variation du flux Φ dans la bobine provoque, d’après la loi de Lenz, une tension :


Cette tension s’oppose à l’établissement de E.

Dans ce cas (pas de ferro), le flux est proportionnel au courant et le facteur de proportionnalité est appelé coefficient d’auto-induction L (ou inductance propre) :


On a donc électriquement :


Équation analogue à celle du mouvement d’une bille tombant dans un liquide visqueux, L jouant le rôle de la masse. (mg=mdv/dt+fv)


L’alimentation doit donc lutter contre l’inertie électrique de la bobine qui rend difficile la variation du courant (tout comme la masse rend difficile la variation de vitesse).


La puissance reçue par la bobine est celle donnée par l’alimentation : UI.

Une partie part à l’extérieur (rI2), et une autre est stockée par la bobine (IdΦ/dt).

En mécanique, on a bien la même chose : une partie de la puissance reçue s’envole (fv2 si f est le coefficient de frottement) et une partie est stockée dans le mouvement (vdp/dt, en appelant p l’impulsion de la bille).

Cela donne pour l’énergie stockée dans la bobine :


Analogue de l’énergie cinétique de la bille.


Arrêter le courant revient à arrêter la bille, l’énergie est restituée et peut être récupérée !


Mais sans ferro, point de petit LU.



Retour du ferro...


Si on reprend notre analogie mécanique, le ferro va avoir comme étrange action d’augmenter d’abord grandement la masse de la bille, au fur et à mesure de l’augmentation de sa vitesse, puis, pouf, il fait disparaître le gain de masse. Au final, l’énergie stockée sera bien plus importante (car on a dû plus luter pour faire avancer la bille) même si la vitesse atteinte est la même (on garde toujours le même Imax).





Effectivement, le matériau ferromagnétique démultiplie le flux de champ magnétique dans la bobine et par le fait, il démultiplie sa variation : le champ créé par la bobine aligne les spins des atomes dans le matériau qui produit à son tour un champ dans la même direction mais bien plus grand que celui de la bobine (les spins «coopèrent», ce qui permet le gain).

La perméabilité relative μr mesure le rapport entre champ excitateur et champ produit dans le matériau et μr vaut jusqu’à 10000 dans le cas du fer !

L’inertie de la bobine devient donc énorme (la variation du flux équivaut à la variation d’impulsion en mécanique) et il en va de même pour l’énergie stockée (qui correspond à la lutte de l’alimentation contre cette inertie) !

Et on a maintenant une inductance qui dépend du courant I (ce qui revient à une masse qui dépend de la vitesse).

Certes, la variation de flux sera dans un premier temps très grande mais n’oublions pas qu’un matériau ferromagnétique sature ! Une fois que tous les spins sont alignés, on ne peut pas les aligner plus... À ce moment, l’apport du ferro devient nul (plus de variation), on retrouve l’inductance originelle L de la bobine (on récupère la masse de la bille).


Plus précisément, le flux traversant la bobine à l’allure suivante :

Deux sources contribuent au flux : une qui croît en LI et l’autre, créée par le ferro, qui écrase totalement la première (10000 fois plus importante au point de début de saturation...).

Rq : pas d’histoire d’hystérésis vu qu’on utilise un fer doux. Donc le retour (la restitution d’énergie), se fait par le même chemin.


Le flux a une allure plutôt compliquée. Et s’il dépend bien de I, on n’a plus de formule analytique simple...

Mais l’énergie stockée dans la bobine, on l’a vu, est donnée par l’intégrale :


Elle correspond à l’aire hachurée ( découpe l’axe verticale) ! On va donc pouvoir résoudre notre problème graphiquement...


Avec petit LU, la masse monte plus haut. Par conséquent, une plus grande quantité d’énergie est stockée et cela implique une aire hachurée supérieure.

Comment le petit LU se débrouille-t-il ?


Tout d’abord, en négligeant l’apport supplémentaire au champ dû à la bobine seule, on voit que le flux est contraint verticalement : le ferro sature à un certain flux Φmax et ça, le gâteau n’y peut rien...

Il ne peut donc jouer que sur l’allure de la courbe Φ(I) !

Il suffit que le ferro arrive «moins vite» à saturation ou plutôt qu’il arrive à saturation pour une intensité I plus grande.

C’est là que le petit beurre joue son rôle ! Car finalement, il ne fait qu’agrandir l’entrefer et agrandir l’entrefer diminue le μr apparent au niveau de la bobine (l’entrefer mange du champ). Le flux grandit alors moins vite pour une même excitation et atteint la saturation pour un I plus grand, pile poil ce qu’on souhaite !


Détaillons un peu plus :


Le matériau ferromagnétique concentre et canalise les lignes de champ.

En réalité, le champ créé par la bobine n’y est pas emprisonné et va où il veut (où sa symétrie l’envoie plutôt). Mais comme le champ global est nettement plus intense au niveau du matériau ferromagnétique, tout se passe comme s’il cannibalisait les lignes de champ (la carte de niveau est totalement dominé par le ferro).


Le champ se calcule  en utilisant le théorème d’ampère : circulation du champ créé par le courant (champ H) = courant enlacé.

Prenons cette ligne de champ B particulière (pointillés rouge) :




Sur cette ligne de champ :


B, lui, est le même sur toute la ligne par définition. On a donc :



D’où :


pour des entrefers pas trop grands.

Ce qui nous intéresse, c’est plutôt le flux du champ B dans la bobine. Or dans l’entrefer, les lignes de champ proches des bords sont courbées et la distance parcourue est donc supérieure à e. Néanmoins, pour un entrefer petit, on peut approximer les lignes de champ parallèles ; c’est ce qu’on va faire...


On a donc directement le flux : Φ = sB. Et on constate bien que pour le même I, l’entrefer va diminuer le flux atteint (cf. formule).


Attention, un trop grand entrefer et la saturation devient inaccessible. L’ajout de petits beurres ne peut alors que diminuer l’énergie stockée, ce qui n’aurait pas l’effet attendu sur l’auditoire...

La situation idéale (du point de vue de l’énergie dans la bobine) correspond à un entrefer permettant d’atteindre la saturation à Imax.


En conclusion, pour obtenir une énergie maximum dans la bobine, il faut que la variation du champ dans celle-ci ne puisse pas être provoquée par une trop faible variation d’intensité, comme dans le cas sans entrefer.

Si on repense à notre bille, on voit effectivement qu’une variation d’impulsion à petite vitesse «coûte» moins qu’à grande vitesse. Donc si l’essentiel de la variation d’impulsion (due à la variation de masse) se fait à faible vitesse, on y perd...